Caesarodunum s’installe dès le 1er siècle ap. J.C., sur le site celtique des Turones. L’existence de Caesarodunum est tardivement attestée par l’épigraphie. La ville, jusqu’au IVe siècle, demeure dans l’Empire romain une obscure cité provinciale. Entre 364-369 et 388, Tours qui se trouvait en Lyonnaise Seconde, devient métropole provinciale de la Lyonnaise Troisième qui regroupe les territoires de neuf cités de l’ouest Ligérien et Armoricain.  La ville est occupée par les Wisigoths vers 470, puis par les Francs à la suite de la bataille de Vouillé en 507. Clovis, en 508, y revêt la tunique de pourpre et ceint le diadème. Puis Tours devient, pour les mérovingiens, une ville sainte que se disputent les souverains des différents royaumes francs.

A la mort de Caribert, en 567, la civitas Turonorum constitue, avec la cité voisine de Poitiers, un lot dévolu à Sigebert. Chilpéric obtient les cités du Mans, d’Angers et de Rennes et Gontran celle de Nantes. Or Sigebert étant loin de l’Austrasie, ses territoires deviennent alléchants pour ses deux frères. Ainsi, avec l’épiscopat de Grégoire, commence pour Tours, une période troublée : en l’espace d’une douzaine d’années, la ville ne va  pas connaître moins de cinq changements de domination.

Tours échoue, à la fin des divers troubles, à Gontran. Ce dernier, pour sceller la réconciliation entre Austrasie et Bourgogne, restitue à Childebert une grande partie des cités que Sigebert avait obtenues de Caribert. Ainsi Tours et Poitiers sont replacées sous l’autorité de Childebert, peut-être à l’extrême fin 585. Le Pacte d’Andelot en 587 mentionne le retour de la civitas Turonorum à l’Austrasie et en 592 ou 593, à la mort de Gontran, Childebert II reçoit le royaume de son oncle. A la mort de Childebert, en 595, le territoire échoue à Théodebert, demi-frère de Thierry. Ainsi, les gardiens qui surveillent  Colomban, peuvent craindre que, exilé du roi de Bourgogne, il soit largement accueilli par les Austrasiens et puisse leur échapper. Cependant, si le moine est reçu par l’évêque, le personnage de Chrodoald témoigne de l’attachement des Austrasiens à Thierry. Jonas de Bobbio écrit que ce dignitaire épouse une tante de Théodebert mais reste fidèle à Thierry. La tante en question est Amita, sœur du père de Théodebert. Or ce dernier et Thierry  sont tous les deux les fils de Childebert : la tante paternelle de l’un n’est-elle pas celle de l’autre ? Pourquoi Chrodoald aurait-il contracté une affinité spéciale avec Théodebert que Jonas semble opposer à sa fidélité envers Thierry ? Frédégaire rapporte une rumeur qu’aurait propagée Brunehaut selon laquelle Théodebert n’était pas le fils du roi mais celui d’un jardinier. Cependant rien n’indique que Jonas fait allusion à ce bruit. Il veut vraisemblablement mettre en exergue que Chrodoald est allié à Théodebert, alors le maître de Tours. L’affinité de Chrodoald avec l’Austrasie rend ainsi plus remarquable l'obédience au roi de Bourgogne. Là l’hagiographe concède à nouveau au moine son rôle politique. Il se porte dans la ville comme défenseur de Clotaire. Il prédit son règne unificateur par la chute de Thierry mais aussi de Théodebert.

 

Lorsque Colomban traverse la ville, celle-ci a retrouvé une période de paix, influencée par l’œuvre de Grégoire de Tours. En effet, pendant les années de guerre et d’incertitudes, Grégoire ne cherche jamais à satisfaire ses ambitions personnelles mais assure au contraire un grand dévouement à la cité, ce qui lui assure un bilan très positif à la fin des troubles. Il se présente au sein de la vie politique et religieuse comme le porte-parole de Martin : il construit ou reconstruit des sanctuaires en assez grand nombre, sans pour autant modifier le schéma de la géographie religieuse. Sans bouleverser la liturgie fixée par le calendrier de Perpetuus, ni réformer la discipline et l’organisation ecclésiastique, Grégoire imprime une impulsion nouvelle au pèlerinage martinien. L’évêque parvient alors à faire de Tours la ville de Martin. Il diffuse par ses écrits l’image de la cité, véritable reflet, dans la liturgie et dans l’esprit de charité, de la sainteté martinienne. Ainsi à l’opposé des violences résultantes de la guerre, il fait de la ville un symbole de l’espérance chrétienne.

Entre la fin du IVe et celle du VIe siècle, l’urbs turonica devient une cité rayonnante et c’est dans ce cadre que Colomban évolue lors de son passage. Son paysage citadin s’enrichit d’une parure  toute neuve de monuments religieux et la ville s’organise de manière tripartite : le castrum, la  basilica sancti Martini et le tranligerim. Cependant quand Colomban traverse la ville, l’animation urbaine est principalement bicéphale, autour du groupe épiscopal et de la basilique Saint-Martin.

 

Tours s’installe, au Haut Empire  sur la rive gauche de la Loire, au croisement d’un grand axe de communication est-ouest, à savoir la Loire navigable. Celle-ci est doublée sur chacune de ses rives, par une voie terrestre en relation avec Orléans et Angers ; avec la transversale nord-sud qui relie Tours à Bourges et Poitiers d’une part, et Tours au Mans d’autre part. Le site primitif offre à la ville certains avantages : au nord-est, une légère éminence domine le cours du fleuve, au droit d’une île qui en facilite le franchissement, vraisemblablement par un pont ; sur les autres côtés de la butte insubmersible, s’étend une plaine alluviale qui échappe elle aussi aux inondations de la Loire et du Cher. Caesarodunum s’élève ainsi au sein de ce site, dans un périmètre limité à l’est et au sud par deux cimetières utilisés aux premiers siècles de l’Empire, et au nord, par la Loire. Ce quadrilatère allongé parallèlement à la Loire est traversé d’est en ouest par la voie d’Orléans à Nantes qui constitue le decumanus. Son tracé est aujourd’hui marqué par les rues Blanqui, Albert Thomas, Colbert et du Commerce. Une autre voie est-ouest est reconnue plus au sud par le tracé des actuelles rues des Halles et de la Scellerie.

Une autre voie parcourt la cité du sud au nord par la route de Bourges au Mans. Elle forme le cardo maximus. Ce tracé est très mal connu et la localisation du cardo n’est pas certaine. Selon une première hypothèse, ce dernier emprunterait l’axe des rues Jules Simon et Lavoisier. Selon une deuxième hypothèse, il se situait un peu plus à l’ouest, dans l’axe des rues Bernard Palissy, de la Barre et des Amandiers.

Sur la butte alluviale, à l’est du cardo et de la croisée urbaine majeure, se dressaient les principaux bâtiments publics qui appartenaient au centre monumental de l’agglomération.

Le centre urbain, qui présentait un habitat assez dense, avait alors une superficie d’environ trente hectares. En s’éloignant de ce centre, vers le sud, aux abords des actuels boulevards Heurteloup et Béranger, et à l’ouest dans la région où s’élève plus tard la basilique Saint-Martin, l’habitat dense faisait place à une occupation nettement plus lâche. Plus loin encore dans la plaine entre Loire et Cher, au-delà des zones cémétériales et sur la rive droite de la Loire, se dispersaient quelques villae. Ainsi, avec son suburbium immédiat, Caesarodunum s’étendait sur un espace de 60 à 80 hectares.

L’essor de la ville romaine qui atteignait son extension maximale dès la fin du IIe siècle est brutalement arrêté : il semble qu’une catastrophe s’abat sur la ville dans le courant du IIIe siècle. Probablement a la suite d’un raid barbare qui dévaste la ville, les habitants ont alors édifié un réduit fortifié achevé au plus tard en 275. L’emplacement choisi a été celui du monticule au nord-est qui répondait aux conditions nécessaires à l’édification d’un castrum. On a élevé ainsi une enceinte autour du centre monumental en réemployant de nombreux éléments architecturaux provenant d’édifices détruits. Le tracé emprunté par la muraille, flanquée de tours, est reconnu depuis longtemps et laisse sa trace dans le plan actuel de la ville. Ainsi, le rempart dessine un trapèze dont les côtés orientés sensiblement vers les points cardinaux, sont rectilignes, à l’exception du côté sud. Ce dernier s'incline au centre pour former un bastion semi-circulaire, en prenant appui sur la moitié sud de l’amphithéâtre. L’enceinte s’ouvre à l’est et à l’ouest, à chaque extrémité du decumanus par une porte fortifiée. Deux poternes percées au sud de part et d’autre de l’amphithéâtre et probablement deux autres dans le mur nord offrent des issues secondaires. Au total la muraille est longue de 1555 mètres et enferme un espace urbain dont la superficie ne dépasse pas 9 hectares. Les constructeurs, par souci de défense, bien plus que par préoccupations économiques, négligent la protection du cardo maximus et du port fluvial.

Au Bas-Empire, semble-t-il, lors du rétablissement de la paix par Dioclétien et Maximien, on a reconstruit les édifices publics nécessaires à la vie citadine à l’intérieur du castrum. On a relevé certains monuments du Haut-Empire dont le souvenir se perpétue durant tout le Moyen-Age. Au cours du IVe siècle, on leur a adjoint les bâtiments officiels dont la ville, promue au rang de capitale provinciale, avait besoin. Ainsi, Sulpice Sévère mentionne l’édification d’un palais pour le gouverneur et d’une prison. Néanmoins, on a laissé subsister des espaces libres à l’intérieur de l’enceinte : le forum ( ou l’emplacement que l’on tient pour tel) n’est pas encore bâti au IXe siècle. L’amphithéâtre, dont l’intérieur est remblayé pour constituer un plan incliné permettant d’atteindre le sommet de la muraille, est encore signalé au Xe siècle sous le nom d’arènes. Ainsi le castrum ne peut accueillir qu’un petit nombre d’habitants. Or Ammien Marcellin cite, au milieu du IVe siècle, la ville comme une des plus importantes de la Lyonnaise Seconde. Avant qu’elle ne devienne, un quart de siècle plus tard, la métropole administrative de la Lyonnaise Troisième, il est difficile de croire qu’elle ne compte que les seuls habitants du castrum.  Certains quartiers de l’ancienne ville ouverte ont été, dès le IVe siècle, partiellement réoccupés. L’urbs turonica, à l’époque constantinienne, montre, au sein du castrum et du suburbium réunis, des signes de renaissance. La ville, malgré des conditions difficiles, semble retrouver une partie de ses activités économiques : elle redevient un marché pour la commercialisation des productions agricoles et  pour la redistribution de produits manufacturés. 

 

Le port fluvial que l’on ne peut localiser pour la période antique, se situe au Bas-Empire et durant le haut Moyen-age probablement à la hauteur où s’élève au VIe siècle l’église Saint-Julien, en un endroit où est attesté à partir du Xe siècle le port médiéval, Scalaria, puis port de l’Echelerie. Le port se situe donc dans ce secteur, vers l’église Saint-Julien, en haut de la rue Nationale.

 

A l’intérieur des murailles s’élevait l’édifice chrétien le plus anciennement attesté par les sources. Grégoire de Tours nous apprend que l’ecclesia urbis Turonicae, a été construite par Litorius et ajoute qu’elle est la première église du castrum. L’ecclesia est détruite par un grand incendie qui ravage le castrum en 558, sous l’épiscopat d’Eufronius. Grégoire entreprend alors de la rebâtir : les travaux sont achevés la 17e année de son épiscopat en 589/590. Elle est plus vaste et plus haute mais occupe approximativement le même emplacement. Fortunat, dans ses vers, indique que la cathédrale s’appuie pour une part sur les anciennes substructions. Il dépeint la toiture étincelante et rougeoyante au soleil. La cathédrale présente de larges fenêtres qui illuminent l’intérieur du sanctuaire dont les murs sont ornés de peintures illustrant les miracles de Martin. Fortunat compose probablement les légendes qui accompagnent les représentations.

Grégoire témoigne de la présence des reliques de Gervais et Protais au sein de l’ecclesia. Celles-ci auraient été reçues ou rapportées d’Italie par Martin. De même, depuis une époque indéterminée, l’église possède des reliques des martyrs d’Agaune : Grégoire retrouve ces dernières en 590 dans le trésor de la basilique Saint-Martin. Un poème de Fortunat est vraisemblablement écrit pour célébrer la translation des reliques dans la nouvelle cathédrale. Cependant ce n’est qu’au VIIIe siècle qu’apparaît pour la première fois le vocable de Saint-Maurice. D’après un récit de Grégoire, l’ecclesia avait sa façade à proximité immédiate du mur occidental du castrum, à l’endroit où celui-ci faisait face à la basilique Saint-Martin. Elle était ainsi bâtie à l’emplacement où, à la suite de diverses reconstructions, aux XIIe et XIIIe siècles, sur des plans plus vastes, se dresse l’actuelle cathédrale. Cette dernière passe sous le vocable de Saint-Gatien en 1357. Ses tours prennent appui sur les fondations de la muraille occidentale du castrum.

Sulpice Sévère situe un acte de charité de Martin, se dépouillant de sa propre tunique en faveur d’un pauvre, dans le secretarium de l’ecclesia où il avait coutume de se tenir seul. De même, l’hagiographe rapporte que l’évêque, avant de s’installer à Marmoutier, fit quelque temps d’une adhaerenti ad ecclesiam cellula sa demeure. S’agit-il d’un seul et même lieu ? C’est ce qu’avance Paulin de Périgueux et Grégoire de Tours. Cependant la cellula dans laquelle Fortunat invite à venir se recueillir, n’est sans doute pas celle où Martin venait prier : l’incendie de 558, ne l’a vraisemblablement pas épargnée. Le lieu de dévotion martinienne se trouve englobé, lors de la reconstruction opérée par Grégoire, soit dans le palais épiscopal, soit dans la nouvelle ecclesia.

 

Dès le milieu du Ve siècle, une seconde église est édifiée intra muros civitatis par l’évêque Eustochius qui la consacre avec des reliques de Gervais et Protais. Incendiée en 558, Eufronius la remet en état plusieurs années après.

 Selon Grégoire de Tours, l’ecclesia sanctorum Gervasii et Protasii était muro conjuncta : elle jouxtait les murs de l’enceinte. Plus précisément, elle se dressait au sud de l’ecclesia prima, dans l’espace relativement étroit qui séparait cette dernière du mur méridional de l’enceinte. Saint-Gervais-et-Protais appuyait très probablement son flanc droit sur ce mur. Cependant il est difficile de définir exactement sa position par rapport à celle de la domus ecclesiae, elle aussi localisée dans ce secteur.

 

Au début du VIe siècle, l’évêque Ommatius commence à élever intra muros l’ecclesia sanctae Mariae Virginis ac sancti Iohannis Baptistae, mais ne conduit pas les travaux à leur terme. Iniuriosus achève l’église qui est à son tour incendiée en 558. Elle est ensuite restaurée par Eufronius. La localisation de l’église est très incertaine.

 

La domus ecclesiae, à l’intérieur des murs, n’est mentionnée dans les sources qu’à partir de la deuxième moitié du VIe siècle. Grégoire de Tours, dès la première année de son épiscopat, soit en 573/574, y aménage un oratoire où il dépose des reliques d’Illidius. L’évêque y indique à travers ses œuvres les  autres reliques conservées : celles de Saturnin, de Martin, de Julien de Brioude, celles d’Etienne et très certainement une pièce d’étoffe ayant enveloppé la vraie croix. Un poème de Fortunat témoigne alors que l’oratoire est consacré à la croix. L’emplacement exact de la demeure épiscopale, proche de l’ecclesia prima, n’est pas précisé par Grégoire. On suppose qu’elle s’élevait déjà dans le secteur où se situe à partir du XIIe siècle le palais archiépiscopal, au sud-est de la cathédrale. Sa position par rapport à l’ecclesia sanctorum Gervasiii et Protasiii est difficile à déterminer.

 

Ainsi, l’œuvre de bâtisseurs depuis le milieu du IVe siècle a conquis au christianisme le quart sud-est du castrum. Dès la première moitié du IVe siècle, ce secteur urbain est un véritable quartier épiscopal qui se distingue de la région septentrionale où semble s’installer le comte, ses officiers et les hommes de la garnison. Le premier évêque de Tours installe sa cathédrale dans la partie du castrum la plus proche du suburbium qui se reconstruit à l’ouest des remparts. Les évêques des Ve et VIe siècles ne remettent pas en cause ce choix.

 

A l’ouest du castrum, s’établit le premier sanctuaire suburbain : c’est une basilique placée par la suite sous le patronage de Litorius, attestée pour la première fois par le calendrier de Perpetuus. Grégoire indique que Litorius l’aménage dans la demeure d’un sénateur et qu’il s’y fait ensevelir. De même il signale que Martin y transfère la dépouille de Catianus, fondateur légendaire de l’église tourangelle.

L’emplacement de la basilica sancti Litorii est difficile à déterminer. Elle a probablement été détruite par le raid normand de 853. Selon des sources tardives, trois sanctuaires médiévaux, élevés aux abords de la route d’Angers, à 1400 m du castrum, ont une filiation avec la basilique. Ainsi le monastère Saint-Médard, l’église Notre-Dame-la-Riche et la chapelle Saint-Lidoire. Notons qu’au temps de Grégoire, la basilique Saint-Lidoire est un lieu de culte isolé et peu fréquenté. En fait, la vie religieuse dans le suburbium commence à se déplacer vers le sud-est, se rapprochant du castrum et s’organisant autour de la basilique dédiée à Saint-Martin.

 

Pendant les premières décennies qui suivent la mort de Martin, selon Sulpice Sévère, le lieu de sa sépulture conserve un aspect semblable à celui des autres tombes du cimetière chrétien. Paulin de Périgueux, à diverses reprises, mentionne une petite chapelle édifiée à l’endroit indiqué par Sulpice Sévère. Sidoine Apollinaire la décrit plus longuement dans une lettre de 467, à une époque où le premier édifice vient de faire place à une grande basilique. Il exprime son mépris pour la première construction, de style commun. Grégoire, un siècle plus tard, évoque cette dernière comme une cellulam  parvulam, tout en louant la beauté de son plafond, conservé et remployé dans la basilica beatorum apostolorum Petri et Pauli : ceci semble être l’indice que le premier édifice élevé sur la tombe de Martin était dédié aux Princes des apôtres. Paulin de Périgueux atteste qu’en 437, lorsque Litorius et ses soldats Huns combattent la Bagaude, la petite basilique se dresse déjà au-dessus du sépulcre. Sa construction est alors toute récente, puisque Grégoire la situe à la fin de l’épiscopat de Brice, entre 430 et 435/436 environ. La petite chapelle remplace alors la basilica sancti Litorii comme basilique funéraire épiscopale. Brictius et Eustochius sont successivement ensevelis aux côtés de Martin.

Sidoine apollinaire, dans la lettre déjà citée, nous indique que Perpetuus fait disparaître un sanctuaire indigne de Martin, pour construire une basilique plus importante, plus vaste et plus haute que la précédente. Paulin de Périgueux évoque les travaux : pour transporter les colonnes de remploi qui devaient être la parure de l’édifice, il fallut l’aide des fidèles. Un document datant probablement de l’épiscopat de Perpetuus, dont s’inspirent le rédacteur de la notice du Martinellus ainsi que Grégoire, consigne de nombreux renseignements sur la basilique. Ainsi elle se situe à 800 m du castrum, elle est longue de 53 m, large de 20 m et haute de 15 m. Il y a 120 colonnes, 52 fenêtres et 8 portes réparties entre le chœur, in altario, et la nef, in capso. Cette distribution indique que le chœur était sensiblement plus allongé, avec 32 fenêtres et 79 colonnes, que la nef, avec 20 fenêtres et 41 colonnes. Dans la basilique, des tituli gravés, sans doute pour servir de légende à des peintures, tracent l’itinéraire du fidèle, depuis son entrée par la porte occidentale, en passant par la nef, pour accéder au chœur qui abrite le tombeau de Martin, situé derrière l’autel.

Ainsi ces tituli nous permettent de concevoir ce que Colomban a vu lors de son passage à Tours : il accède à la basilique par une porte ménagée dans la façade occidentale dont les deux premières inscriptions gravées sur le côté extérieur engagent le fidèle à se recueillir, avant de franchir le seuil du temple. Toujours selon les vers, le fidèle est invité à contempler la tour qui s’élève au-dessus de l’entrée. Il s’agirait probablement d’une tour porche. Dans les inscriptions, le terme orientis désigne la direction vers laquelle se tourne le visiteur contemplant la façade avant de pénétrer à l’intérieur. Puis sur la paroi qui forme le revers de la façade et qui surmonte la porte, se situe une peinture figurant la pauvre veuve de l’Evangile avec un titulus qui commente l’image. La nef est ensuite couverte d’une charpente ou d’un plafond éclairé de chaque côté par dix fenêtres. Deux portes sur chaque flanc servent d’issues secondaires. Une autre inscription suppose l’existence d’un arc triomphal qui, de la nef, ouvre sur le sanctuaire. Dans ce dernier se trouve l’autel surmonté d’un machina, sorte de baldaquin en bois. Le visiteur, après avoir parcouru la basilique dans toute sa longueur, arrive à l’extrémité orientale et accède au tombeau du confesseur. La gloire et la virtus du saint sont célébrées par des inscriptions gravées de part et d’autre du sépulcre. Le sanctuaire est illuminé par 32 fenêtres mentionnées plus haut et qui s’ouvrent le long des parois latérales du chœur et dans le mur terminal de l’abside. Ce chœur est conçu très vaste pour accueillir la foule des dévots. L’altarium compte trois portes dont une ne donne pas sur l’extérieur mais permet d’accéder à une annexe de l’église, le salutarium.

Le calendrier de Perpetuus institue pour la basilique les vigiles des deux anniversaires martiniens : la depositio du 11 novembre et l’élévation à l’épiscopat, le 4 juillet. De même les vigiles de la Nativité de Jean-Baptiste, de la Résurrection, de l’Ascension, des anniversaires de Brice et d’Hilaire de Poitiers.

Tentons d’analyser la position qu’occupe la basilique par rapport à la chapelle primitive. Grégoire affirme d’une part que le corps de Martin fut enseveli là où on vénère maintenant son tombeau ; d’autre part, il signale à deux reprises la translation du corps saint, opérée par Perpetuus, une fois la construction de la nouvelle basilique terminée. La contradiction au sein des récits de Grégoire disparaît si l’on admet que la nouvelle basilique s’élève sur le même site que la première chapelle, mais que ses dimensions étant plus vastes, il fallut déplacer le tombeau de quelques mètres pour qu’il se situe dans l’abside du nouvel édifice. L’aménagement est achevé lorsque le sépulcre est recouvert d’un marbre précieux, envoyé par l’évêque Euphronius d’Autun à Perpetuus. 

En 559, sous l’épiscopat d’Eufronius, Saint-Martin est endommagé par un incendie. La couverture de la basilique détruite par les flammes est restaurée par le prédécesseur de Grégoire. Cependant les murs de l’édifice conservent encore des traces d’incendie à la mort d’Eufronius. Les peintures alors noircies sont repeintes et décorées sous Grégoire.

La basilique a été entièrement détruite en 997 par les Normands. Hervé de Buzançais a édifié sur son emplacement une église, puis une vaste basilique gothique commencée en 1175. L’édifice ravagé par les Huguenots en 1562 a été démoli en 1802. Le site de l’actuelle basilique (1887-1924) qui est tournée vers le nord, ne correspond que partiellement à celui des édifices qui l’ont précédé.

En 1860, des fouilles ont été entreprises à l’emplacement de ces derniers et mettent à jour un tombeau de Martin en forme d’arche. D’autres menées en 1886 par Mgr Chevalier ont révélé un chœur avec déambulatoire et chapelles rayonnantes datées du Ve siècle. Cependant en 1891, R. de Lasteyrie a démontré qu’il ne pouvait s’agir que de substructions appartenant à un édifice roman. De même le tombeau de Saint-Martin se présente dans l’aménagement et la position données par le trésorier Hervé de Buzançais. On a néanmoins retrouvé des fragments de l’opertorium offert par Euphronius d’Autun : une dalle de marbre décorée d’une grande croix gemmée encadrée de deux candélabres. On a aussi dégagé des vestiges de la basilique de Perpetuus. Découverts cassés et remployés dans le mur du rond-point et dans les substructions des chapelles rayonnantes, ils ont longtemps été négligés. Ils ont été retrouvés dans le petit musée martinien de la basilique moderne et ont fait l’objet d’une publication par M. Viellard-Troïekouroff. Ces vestiges ne permettent pas de restituer le plan de la basilique. L. Piétri se rapproche alors de J. Hubert qui suggère avec prudence un rapprochement entre Saint-Martin de Tours et la basilique à trois nefs et aux murs décorés de deux étages de colonnettes de Saint-Pierre de Vienne.

 

L’érection de la grande basilique par Perpetuus est à l’origine d’une profonde transformation de ce secteur et plus tard de tout le schéma urbain. Ainsi dans le périmètre sacré dépendant directement de Saint-Martin, se sont aménagés des sanctuaires locaux, annexes de la basilique, puis parallèlement, dans un rayon de quelques centaines de mètres autour de ce premier groupe, une véritable couronne de basiliques et de monastères.

 

Les édifices les plus proches de Saint-Martin sont compris dans le cadre de l’atrium basilicae sancti Martini, dont l’existence est attestée pour la première fois par la Vie des Pères du Jura. Ainsi l’aménagement premier remonte à l’époque de la construction de la basilique par Perpetuus. Grégoire de Tours décrit son aspect monumental un siècle plus tard : il s’étend comme un parvis, devant la basilique. Il se prolonge au chevet de la basilique dans l’espace situé devant le sépulcre, aux pieds du saint. C’est alors un ensemble clos, avec une seule issue. Il est borné sur certains points par des portiques et par des édifices, telle la domus basilicae. Grégoire cite, outre les dépendances immédiates, des bâtiments à usage d’habitation : les cellules occupées par l’abbas martyrarius et par les clercs qui desservent la basilique et qui forment la domus basilicae ; une cellule habitée par l’ascète Winnocus ; un monastère féminin fondé par la religieuse Ingitrudis. Il faut ajouter à cette liste les locaux de la matricule de Saint-Martin et d’autres peut-être réservés aux hôtes de marque.

Enfin quatre sanctuaires mineurs se situent dans le cadre de l’atrium : une memoria ou domus consacrée par les couronnes, soit les reliques de Jean-Baptiste, Felix, Victor, Gervais et Protais ; ad basilicam, un baptisterium élevé par Perpetuus ; un baptistère consacré par Grégoire avec les reliques des saints Jean et Serge ; un oratorium atrii beati Martini.

Aucun de ces quatre sanctuaires ne peut être localisé avec précision dans l’espace de l’atrium, à l’exception d’un des deux baptistères localisés près d’une porte sud de la basilique.

 

A proximité de la Basilique s’établissent de nombreux édifices. Perpetuus, dans son calendrier institue le natale de Pierre et de Paul dans la basilica beatorum apostolorum Petri et Pauli. Grégoire la cite et indique que Perpetuus remploi pour l’édifier le plafond en bois provenant de la première chapelle construite sur le tombeau de Martin. L’écrivain la situe en bordure d’une place publique, à proximité de Saint-Martin. On l’identifie avec la chapelle médiévale Saint-Pierre-du-Trésor aujourd’hui disparue mais dont la situation est connue : au sud de Saint-Martin, à mi-chemin entre cette basilique et celle de Saint-Venant, proche d’une voie qui s’embranche sur la route de Poitiers.

Grégoire situe auprès de la basilique Saint-Martin un monastère d’hommes dont il ne précise pas l’origine. Venantius est un des abbés du monastère où il est enseveli après sa mort. L’établissement qui comporte alors un oratoire est désigné au VIe siècle sous le nom de monasterium sancti Venantii. Il se dresse à quelques dizaines de mètres de la muraille méridionale, au droit de la porte dite Pisse-Barbe. Au cours des siècles s’est établie à cet endroit la collégiale Saint-Venant, à 200 m de Saint-Martin.

L’ecclesia sanctae Crucis à une centaine de mètres au nord-ouest de Saint-Martin, à l’angle de la rue Chateauneuf et de la rue Henri Royer, mentionnée par un diplôme de Charles le Chauve en 855 a été démolie au XVIe siècle. Elle correspondrait au monastère fondé par Radegonde. En effet E. Mabille l’a identifiée au monastère d’hommes que la reine établit peut-être au début de l’épiscopat d’Eufronius, lors de son pèlerinage prolongé à Tours. A proximité immédiate du tombeau de Martin, se situe vraisemblablement la cellula de Monegundis. Cette femme venant de Chartres s’installe près de la basilique et dirige une communauté de moniales. Elle est ensevelie dans la cellula. Celle-ci ne laisse pas de traces dans la topographie tourangelle mais on la rapproche de Saint-Pierre-le-Puellier, abbaye de femme attestée à la fin du VIIIe siècle et qui conserve les reliques de Monegundis. Dans cette hypothèse, son monastère se situait à moins de 200 m au nord-ouest de Saint-Martin.

 

Dans le même secteur, se situaient deux édifices de localisation incertaine : l’oratorium dédié à Saint-Etienne, attesté à l’époque d’Alcuin près de la basilique Saint-Martin et un des deux monastères fondés par l’abbé Brachio.

 

Ainsi lorsque Colomban se rend à la basilique Saint-Martin, le secteur offre un paysage d’édifices multiples. Le moine se rendant sur le tombeau du saint s’intègre dans un groupe plus large de pèlerins venus se recueillir. En effet, Tours est alors un des centres religieux les plus importants de Gaule, à la fois par le nombre élevé de visiteurs qu’elle accueille et par l’influence qu’exerce l’Eglise de Martin sur eux. Le moine se mêle alors à une foule très disparate. On imagine des malades étalant leurs plaies ou leurs infirmités, certains secoués de convulsions, bavant ou se roulant à terre ; des bataillons de pauvres en haillons assiégeant les passants ; des mendiants professionnels exposant leurs monstres à la curiosité et à la compassion ; des marchands vendant diverses amulettes et fausses reliques. Colomban a sans doute perçu cette « cour des miracles ». Cependant, la basilique est aussi un foyer de vie spirituelle : des visiteurs ont l’espoir du miracle guérisseur grâce à la poussière ou huile du tombeau, et l’espoir du salut éternel. Ainsi, s’oppose le capharnaüm, à l’entrée de l’édifice, à la quiétude du sanctuaire, où hommes et femmes s’éveillent à une foi plus épurée.

Notons que le pèlerinage apporte à la ville de Tours un certain enrichissement : l’Eglise tourangelle reçoit alors des dons matériels mais s’ouvre aussi à tous les courants de pensée par le biais des étrangers. Le mouvement rehausse le prestige du siège tourangeau qui, inversement, œuvre en faveur du pèlerinage : elle répond aux charges que représentent l’accueil et l’encadrement de pèlerin ; elle se dote d’une organisation qui répond non seulement aux besoins de la communauté locale mais aussi à ceux d’une population flottante, auprès de laquelle elle exerce un apostolat et une mission d’assistance.

Entre les deux pôles religieux, se situe le port fluvial. De même, c’est dans cette région que convergent les principales voies routières conduisant à Tours des négociants, voyageurs, pèlerins et visiteurs. Sur cette voie il y a alors un véritable va-et-vient de clercs et de fidèles.

Grégoire y mentionne, sous l’épiscopat d’Eufronius, la construction de la basilica sancti Vincentii. Elle se situerait à 300 m environ de la muraille occidentale du castrum, aux abords de la rue qui formait la voie la plus directe pour se rendre du castrum à Saint-Martin.

Enfin, Grégoire signale la construction et la dédicace de la basilica sancti Iuliani. La dédicace est célébrée le 27 ou le 29 avril d’une année qui n’est pas précisée mais qui se situe dans les premières années de l’épiscopat. Grégoire nous indique qu’elle était flanquée de bâtiments monastiques comportant un cellier et un local où l’on distribue de la nourriture et de la boisson aux pauvres inscrits sur la matricula de Saint-Julien. Elle s’élevait vraisemblablement à 500 m à l’ouest du castrum, au croisement de deux voies importantes : la route venant de Poitiers et celle qui d’est en ouest relie Tours à Angers et Orléans. 

 

 

Dans le transligerim, sur l’autre rive de la Loire, Martin établit son monastère qui compte à la fin de son épiscopat 80 frères. Il se présente alors comme un groupement d’ermitages dispersés à l’intérieur d’une enceinte dont Sulpice Sévère mentionne la porte. Des frères se logent dans des grottes creusées dans la falaise. Peu après la mort de Martin, le monastère semble déserté. Sa renaissance s’amorce sous l’épiscopat de Perpetuus. Des fidèles se rendent chaque année à Pâques en pèlerinage visiter les « saintes cellules » du confesseur. A l’époque de Grégoire, le monastère abrite une importante communauté monastique. Elle continue de recevoir de nombreux pèlerins. Dans le secteur, citons la basilica sanctorum Petri et Pauli, construite par Martin. De même à la fin du Ve siècle, sous l’épiscopat de Volusianus, est édifiée la basilica sancti Iohannis.

 

Ainsi lorsque Colomban entrevoit la ville, le schéma urbain s’est développé autour de trois pôles religieux. Cependant son passage atteste une animation plus bicéphale que tripartite. Lorsque le convoi débarque à Tours, le moine se rend dans la basilique Saint-Martin où se situe une véritable Martinopolis. Le port étant localisé entre le castrum et la basilique, le moine passe à proximité des églises Saint-Vincent et Saint-Julien. Colomban doit alors se mêler à une foule de pèlerins, témoin du rayonnement de la ville martinienne. Le lendemain, le moine, invité par Leupaire, traverse la ville pour se rendre dans le castrum. Là avec la troisième ecclesia et la domus ecclesiae, il  n’est plus dans la « cité martinienne » mais dans la « cité épiscopale ». Le moine entrevoit l’ecclesia prima, la domus ecclesiae se situant vraisemblablement au sud-est de celle-ci. Colomban regagne la basilique Saint-Martin pour manifester son mécontentement et, cette fois en pleine journée, doit percevoir la « cour des miracles » à l’extérieur de la basilique. Tours présente alors dans son urbanisme des similitudes par rapport aux autres cités mentionnées: l’espace urbain est commandé par  le réseau de sanctuaires chrétiens et par le développement d’un courant de pèlerinage. Cependant ce qui diffère pour Tours, c’est que les réalisations sont toutes liées à l’édification de l’urbs Martini. L. Piétri évoque ainsi la naissance d’une ville chrétienne sur les ruines de la cité antique et qui se mue toute entière en une Martinopolis. Après avoir passé une nuit et peut-être deux jours dans la ville de Tours, le moine reprend le bateau et se dirige vers Nantes.